2019-05-04
Il est à souhaiter que le projet de loi laïque proposé au Québec soit étendu pour s’appliquer au personnel dans les hôpitaux. Andréa Richard nous explique pourquoi.
Summary in English The draft bill on secularism proposed by the current Quebec government should be extended to apply to medical personnel in hospitals. Andréa Richard explains why.
Le projet de loi 21 récemment proposé par le gouvernement du Québec — accueilli très favorablement, et par la population et par l’ensemble des associations laïques au Québec — représente une excellente avancée pour la laïcité. Toutefois ce projet de loi demeure très incomplet. Il interdit le port de signes religieux par les fonctionnaires en positions d’autorité, y compris les enseignant(e)s dans les écoles publiques, mais cette interdiction ne s’applique pas aux hôpitaux.
Andréa Richard, ancienne religieuse, auteure des livres Au-delà de la religion et Femme après le cloître et lauréate du Prix Condorcet-Dessaulles 2018, s’inquiète de cette lacune. Elle s’est donc adressée à la Commission des institutions de l’Assemblée nationale du Québec par le biais d’un mémoire dans lequel elle explique éloquemment la nécessité de neutralité religieuse chez le personnel médical. Ce mémoire n’est pas encore publié (il le sera éventuellement sur le site web de l’Assemblée nationale), mais Mme Richard m’a gentiment permis d’en citer quelques extraits. Elle présente d’abord la problématique :
Je me demande s’il vous serait possible, lors des échanges parlementaires, de soulever et de régler le problème réel que constituent les signes religieux ostentatoires portés par des médecins ou infirmières. Il serait opportun d’en parler maintenant pour que la Loi 21 sur la Laïcité en soit plus complète. Plus tard, il sera peut-être trop tard, et d’évidence plus laborieux.
Au fait, permettre aux médecins et infirmières de porter de tels signes constituerait un accommodement religieux, un privilège accordé aux religions, un avantage qui bénéficie à certain(e)s employé(e)s au détriment des autres. Ces accommodements religieux constituent forcément des entorses à la neutralité religieuse.
Ceux qui demandent aujourd’hui des accommodements de nature religieuse sont considérés par leurs communautés respectives comme des fanatiques. En leur accordant ce qu’ils demandent, nous ne servons pas le progrès de notre société, mais favorisons tout au contraire un fondamentalisme religieux qui freine son évolution.
Venons-en au cœur du problème, avec quelques exemples pour bien l’illustrer :
Dans un hôpital, des malades parfois ou souvent vulnérables, n’ont pas à subir des malaises devant des soignants qui se doivent d’être là pour le confort du patient. […]
Imaginez un homme mourant, qui aurait été, dans sa jeunesse, violé par un prêtre pédophile et qui voit arriver à son chevet un prêtre à col romain et crucifix, pour lui demander s’il veut les derniers sacrements ? Il y aura certes un malaise, et peut être plus…
Imaginons une musulmane hospitalisée qui a été battue par son père parce qu’elle ne voulait pas porter le voile et qui voit arriver, pour prendre soin d’elle, une infirmière ou une femme médecin voilée, quelle sera sa réaction ?
Parce que athée, mon beau-père avait demandé qu’advenant son hospitalisation de ne pas avoir de prêtre à son chevet. Or, l’aumônier de l’hôpital s’est présenté pour lui donner les derniers sacrements. Il était mourant, ne pouvant même plus faire signe de refus…
Les signes ostentatoires religieux ont comme signification ostensible une doctrine par-delà même notre seule et commune humanité. Ils sont l’image visible d’un intégrisme religieux.
Mme Richard répond très efficacement au jeu de victimisation que jouent certains apologistes religieux dans le but de dénigrer la laïcité :
Prétendre qu’une employée qui travaille pour l’État et qui ne veut pas enlever son signe religieux ostentatoire est renvoyée est tout à fait incongru, car c’est elle-même qui s’exclut en choisissant sa religion plutôt que son travail. Si quelqu’un considère qu’il ne peut obéir à des règlements établis, il lui revient de faire un choix entre ses convictions religieuses et ses obligations professionnelles.
La tolérance absolue n’est pas une vertu :
Si la tolérance est louable, une tolérance de l’intolérable peut facilement s’apparenter à une démission. Le signe religieux est, quant à lui, inapproprié sur le vêtement d’un fonctionnaire, car ce signe n’est pas « propre » à sa fonction. […]
La société de demain sera soit théocratique, soit laïque. Pour le bien des générations futures, il nous faut prendre nos responsabilités sans quoi elles nous taxeront d’être retournés au Moyen Âge et elles auront raison. […]
Accorder des accommodements religieux favorise le développement d’un communautarisme qui dissimulerait des visées intégristes et fondamentalistes. Parler au nom de Dieu c’est de l’usurpation. L’accepter c’est se rendre complice du mensonge.
Pour conclure, Mme Richard nous rappelle notre devoir de résister à la vague d’obscurantisme religieux qui déferle actuellement sur le monde :
Le fondement de toutes les religions repose sur un endoctrinement d’origine strictement humaine dont les préceptes sont erronés et forcément mensongers. Lorsque nous consentons des accommodements aux religions ou à leurs membres et que nous cautionnons d’une manière ou d’une autre, nous nous rendons complices des erreurs et des mensonges.
Une prise de conscience s’impose.
Prochain blogue : For Secularism in Hospitals