Quatorze observations à propos de la post-gauche

Aussi connue sous le nom de « wokisme »

2023-09-17
2023-09-18 : deux liens corrigés

La post-gauche, alias le « wokisme », est une infection parasitaire qui est en train de détruire la gauche politique, si ce n’est pas déjà fait.

Summary in English The post-left, a.k.a. “wokism,” is a parasitic infection which is destroying the political left, if it has not done so already. This blog is available in English: Fourteen Observations about Post-Leftism

  1. Le soi-disant « wokisme » est bien réel. Vous pouvez ne pas aimer cette appellation, mais il serait irrationnel de nier l’existence du phénomène. Ce n’est pas une fiction inventée par la droite politique. De nombreuses personnes se revendiquant de la gauche politique se définissaient comme « woke » bien avant que la droite n’entende ce terme.
  2. Le wokisme est un mélange complexe d’idéologies, mais celles-ci ont en commun l’abandon des valeurs des Lumières, en particulier l’universalisme. Les woke se prétendent de gauche mais ont trahi les valeurs mêmes qui définissent la gauche. Je les appelle la pseudo-gauche anti-Lumières ou la post-gauche
  3. Les valeurs des Lumières — la raison, la tolérance, la liberté, le progrès, l’univeralisme, les droits humains et la laïcité — sont grandement acceptées en Occident (du moins,elles l’étaient avant la venue du wokisme). Aujourd’hui même la droite modérée les acceptent. Ainsi, sur certaines questions — comme la laïcité, l’objectivité, la liberté d’expression — la post-gauche se positionne à la droite de plusieurs conservateurs modérés comme Jordan Peterson ou Mathieu Bock-Côté.
  4. Ayant rejeté les Lumières, les post-gauchistes ont peu de respect pour l’objectivité et, par conséquent, sont souvent peu respectueux de la vérité si cela peut faire avancer leur programme. L’un de leurs plus gros mensonges est que le « wokisme » serait une sorte de panique morale inventée par la droite politique. Voir le point (1) ci-dessus. En fait, les critiques à l’égard de la post-gauche émanent de tout le spectre politique, de la gauche, y compris des marxistes, du centre et de la droite.
  5. Bien que les origines philosophiques de la post-gauche incluent d’importantes contributions des philosophes postmodernes français et des post-marxistes allemands, la post-gauche demeure principalement un phénomène américain. C’est aux États-Unis que le postmodernisme a été appliqué pour la première fois à l’activisme politique. Par ailleurs, l’histoire de l’esclavage et du racisme extrême anti-Noirs dans ce pays a conduit à placer les concepts de race et de racisme au centre des préoccupations de la gauche et ensuite de la post-gauche. Cette priorisation du racisme, en particulier du racisme anti-Noirs, est compréhensible et légitime, compte tenu de l’histoire des États-Unis. Cependant, la post-gauche fait un très mauvais travail dans la lutte contre le racisme, même aux États-Unis. Ses effets sont encore pires lorsque ses doctrines sont exportées vers d’autres pays dont l’histoire — en particulier celle du racisme — est très différente de celle des États-Unis. Il faut résister à la post-gauche afin de s’opposer à l’américanisation rampante de tout.
  6. Ainsi, au cœur du wokisme se trouve le néoracisme, une dérive de l’antiracisme, mais qui attise le racisme au lieu de le combattre. Les néoracistes rejettent le principe de daltonisme racial, c’est-à-dire l’indifférence à la couleur de la peau, déclaré par Martin Luther King Jr. (MLK), et promeuvent plutôt une obsession pour l’identité raciale, ainsi que la discrimination positive. Les néoracistes soulignent que MLK lui-même préconisait la discrimination positive (« affirmative action »), ce qui est vrai, mais ils oublient allégrement de mentionner que MLK envisageait celle-ci comme une mesure temporaire — durant peut-être plusieurs décennies — dont le but était de parvenir à un avenir dans lequel ses quatre enfants « ne seraient pas jugés sur la couleur de leur peau mais sur le contenu de leur caractère ». L’objectif des néoracistes, au contraire, est ce qu’on appelle « l’équité », qui exige l’égalité des résultats (pas seulement l’égalité des chances), ce qui signifie que la distribution raciale dans une profession doit correspondre à la distribution raciale dans la population en général. C’est pratiquement impossible à réaliser, même avec l’ingénierie sociale la plus draconienne. Ainsi, dans la pratique, les néoracistes n’ont aucune vision pour l’avenir, mais seulement une obsession pour l’identité raciale ad æternum.
  7. On accuse souvent les post-gauchistes d’être anti-Blancs, même si leur idéologie demeurent bien populaire chez les « Blancs ». L’accusation est certainement valable, mais il faut bien comprendre que cette attitude anti-Blancs des néoracistes provient de leur dénigrement de l’héritage européen, c’est-à-dire les Lumières. Le siècle des Lumières est sans doute la plus grande réussite de la civilisation européenne. En abandonnant les Lumières, la post-gauche diabolise la civilisation européenne et les Européens.
  8. Influencés par le postmodernisme et le relativisme culturel, les post-gauchistes rejettent l’universalisme et voient le monde comme un ensemble de groupes, chacun avec ses propres intérêts et sa propre « vérité », souvent inconciliables avec ceux et celle des autres groupes. Ainsi, les intérêts et sentiments du groupe (réels ou présumés) priment sur l’objectivité, conduisant à une survalorisation de l’émotion et à une censure sociale de propos ou d’images jugés « offensants » à l’égard d’un groupe perçu comme cible d’injustice. Considérons l’exemple d’un professeur d’histoire de l’art dans une université au Minnesota qui a été licencié sur-le-champ pour le péché d’avoir enseigné l’histoire de l’art — en utilisant une image médiévale de Mahomet dans une leçon. Le recteur de l’université a déclaré que « le respect des étudiants musulmans pratiquants dans cette classe aurait dû primer sur la liberté académique ». Il s’agit d’un exemple flagrant de censure sociale (« cancel culture ») motivée par l’idéologie de la post-gauche.
  9. La post-gauche se targue de défendre les minorités contre les injustices, mais en réalité elle y parvient très mal, car sa véritable action consiste à dénigrer les majorités. En outre, elle a tendance à considérer chaque minorité comme monolithique, sans tenir compte des grandes variations qui peuvent survenir au sein de chacune.
  10. À l’époque du colonialisme européen, les Européens se considéraient le centre de l’univers, ayant le devoir de civiliser le reste du monde. Aujourd’hui, la post-gauche continue de placer la civilisation européenne au centre de l’univers, mais ce centre est désormais prétendument pourri, imposant toutes les formes d’oppression à tout le monde. Cette dernière attitude n’est que le revers de la première. Les deux sont eurocentriques. Les deux sont fausses. Les deux sont des extrêmes néfastes. Pour la post-gauche, les Européens (c’est-à-dire les « Blancs ») constituent la mauvaise majorité qui persécute constamment diverses minorités. La persécution dans l’autre sens ou la persécution entre des groupes non blancs (p.ex. la traite esclavagiste arabo-musulmane) est rarement, voire jamais, évoquée par la post-gauche.
  11. Le néoracisme diffère du racisme classique sur un point majeur : tandis que les racistes classiques exagèrent les différences biologiques et tentent ainsi d’établir une hiérarchie de « races », certaines supérieures aux autres, les néoracistes ignorent et nient simplement la dimension biologique. Les néoracistes ne tentent même pas de définir la « race » ou le « racisme » de manière cohérente. Cela leur permet de porter à volonté des accusations de racisme contre leurs adversaires, même dans les contextes les plus inappropriés. Une accusation post-gauchiste de racisme est pratiquement irréfutable — comme une croyance religieuse infalsifiable — parce que les post-gauchistes n’ont aucune définition claire qui puisse être utilisée pour déterminer objectivement ce qui est raciste et ce qui ne l’est pas. Cette habitude atteint son paroxysme lorsque les post-gauchistes racialisent l’appartenance religieuse, amalgamant identité raciale et affiliation religieuse, se donnant ainsi carte blanche pour lancer des accusations de « racisme » contre quiconque critique cette religion.
  12. Les post-gauchistes ont tendance à se prétendre l’incarnation même de la parfaite vertu. Mais parce qu’ils font un travail de mauvaise qualité en défendant les causes traditionnelles de gauche (telles que l’antiracisme, l’égalité hommes-femmes, etc.), et parce qu’ils prétendent avec arrogance être la gauche, la seule gauche (comme si la gauche universaliste n’existait pas), ils font le jeu de la droite politique et de l’extrême droite. Le comportement fanatique et les dogmes fous des post-gauchistes jettent le discrédit sur la gauche, confortant et renforçant ainsi la droite politique. Les gens de droite peignent souvent l’ensemble de la gauche politique avec le pinceau du wokisme afin de discréditer la gauche en général et de donner une meilleure image de la droite.
  13. La mouvance post-gauche n’est pas un parti politique ni un groupe bien circonscrit. Il s’agit plutôt d’une mentalité, d’une idéologie, d’un préjugé dont l’influence s’est répandue dans de nombreuses institutions de la société — gouvernements, universités, groupes militants, médias, etc. — aux États-Unis, au Canada et dans plusieurs pays européens. Différentes personnes affichent divers degrés d’adhésion à cette idéologie. Beaucoup de ceux qui ont, dans une plus ou moins grande mesure, adopté la mentalité post-gauchiste, peut-être même inconsciemment, peuvent ignorer les origines de cette idéologie. Ces questions doivent être débattues publiquement afin que les gens apprennent à résister à l’infection idéologique que représente le post-gauchisme. Le mot « infection » est en effet approprié ici. Le post-gauchisme est une infection parasitaire qui détruit la gauche politique, si ce n’est pas déjà fait.
  14. L’antidote au post-gauchisme, c’est l’universalisme, une valeur fondamentale des Lumières. Au fait, c’est le remède à la fois au racisme et au néoracisme.

Prochain blogue : The Grotesque Naïveté of the “Woke”

Le « wokisme » n’est pas une panique morale

2022-10-14, Autres liens ajoutés 2022-10-19

Non, la mouvance « woke » n’est pas une panique morale inventée par la droite.

Summary in English No, the “woke” phenomenon is not some moral panic invented by the political right. This blog is available in English under the title “Wokism” is Not a Moral Panic.

Pendant plusieurs années, des termes tels que « Social Justice Warrior » (« SJW ») et « woke » ont été utilisés par de nombreux membres de cette mouvance eux-mêmes, pour s’identifier. Au fil du temps, le mot « woke » est devenu courant et, alors que les critiques du « wokisme » commençaient à l’utiliser de manière négative, le mot a acquis des connotations péjoratives. (Soulignons que ces critiques fusent de toutes tendances politiques : des marxistes, du centre, des gens de droite, etc.)

Maintenant, certains prétendent même que le « wokisme » n’existerait pas, que ce n’est qu’un fantasme de droite, une « panique morale » inventée par la droite politique afin de dénigrer la gauche. Cette allégation est fausse et malhonnête. Les « woke » eux-mêmes ont adopté le mot bien avant tout le monde. Non seulement le « wokisme » est un phénomène réel mais, plus important encore, il est idéologiquement distinct de la gauche politique classique, c’est-à-dire universaliste.

Qu’est-ce que le « wokisme » alors ? C’est une mouvance sociale qui se prétend de gauche et se targue de lutter pour la justice sociale et contre divers préjugés, surtout le racisme. Mais les assises philosophiques du phénomène « woke » sont fortement influencées par le postmodernisme et par le rejet des valeurs des Lumières, en particulier le rejet de l’universalisme. Son rejet les Lumières représente l’abandon du plus bel accomplissement de la civilisation européenne.

Par conséquent, cette mouvance défend très mal les minorités dont elle fait son obsession. Elle finit par attiser le racisme autant qu’elle lutte contre. C’est-à-dire que cette mouvance est néoraciste. Moi, je l’appelle la post-gauche ou la pseudogauche anti-Lumières.

Les « wokes » ont la méchante habitude de lancer des accusations de « fascisme » contre tout ce qui ne serait pas d’accord avec eux. C’est très ironque — et hypocrite — car le wokisme et l’extrême droite ont quelque chose de très significatif en commun : le rejet des Lumières.

Les excès et les folies des « wokes » constituent un vrai cadeau pour la droite politique, car celle-ci s’en sert pour dénigrer toute la gauche, comme si cette gauche ne comprenait que les « wokes » — ce qui est faux, car la vraie gauche, c’est la gauche universaliste.

Pour une présentation plus étoffée du « wokisme », voir :


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Prochain blogue : “Wokism” is Not a Moral Panic

Parution du livre Identité, « race », liberté d’expression.

Perspectives critiques sur certains débats qui fracturent la gauche

2021-10-29

Summary in English Announcing publication of the book Identité, « race », liberté d’expression. Perspectives critiques sur certains débats qui fracturent la gauche (Identity, “Race” & Freedom of Expression. Critical Perspectives on Certain Debates Dividing the Left), a collective work of which I am one of a score of authors.

Je suis parmi une vingtaine d’auteurs d’un ouvrage collectif qui vient de paraître (Presses de l’Université Laval), dirigé par Rachad Antonius et Normand Baillargeon. Mon texte s’intitule « Les Lumières absentes de la pensée Woke ». Mon but (et je crois que la plupart des autres auteurs de l’ouvrage ont un but semblable) est de bien distinguer la gauche universaliste et républicaine de la fausse gauche anti-Lumières que l’on appelle souvent les « woke ».

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