2018-05-29, mise à jour 2018-05-31
Le 26 mai 2018, j’ai participé au Colloque « Éducation et laïcité : où en sommes-nous ? » organisé par le Mouvement laïque québécois. J’ai ouvert et géré l’Atelier 5 intitulé « Laïcité, législation et gouvernement au Québec » lors duquel les panéllistes Jérôme Blanchet-Gravel, Simon-Pierre Savard-Tremblay et Djemila Benhabib ont pris la parole. Voici mon court texte de présentation de l’atelier.
Propos haineux et blasphème
Summary in English On May 26th 2018, I particpated in a colloquium, organized by the MLQ (Quebec Secular Movement), on the subject of secularism in education in Quebec. In particular, I opened and conducted the workshop on “Secularism, Legislation and Government in Quebec.” The panelists Jérôme Blanchet-Gravel, Simon-Pierre Savard-Tremblay and Djemila Benhabib each made a presentation. Here is the brief presentation with which I opened the workshop.
Avant la loi 62, il y a eu le projet de loi 59 qui devait lutter contre les discours haineux mais qui constituait une grave menace pour la liberté d’expression. Heureusement que ce projet a été abandonné par le gouvernement en mai 2016. Mais on peut se demander si cette histoire se serait terminée de la même manière si le massacre de la mosquée de Québec était survenu quelques mois plus tôt – sachant comment les partisans de l’islam politique et leurs dupes ont instrumentalisé cette tuerie pour faire avancer leur programme, et sachant aussi combien ce projet de loi 59 avait plu aux islamistes les plus rigoristes.
Le projet de loi 59 aurait, au fait, constitué une nouvelle interdiction du blasphème et une nouvelle loi draconienne contre la propagande haineuse, mais au niveau québécois. Ces deux mesures existent déjà au niveau fédéral. Heureusement que la loi fédérale anti-blasphème est sur le point d’être abrogée. La loi fédérale contre la propagande haineuse est généralement beaucoup mieux formulée, mais comporte tout de même une exception religieuse qui accorde l’impunité aux propos haineux motivés par une croyance dans un texte religieux. Malgré une récente pétition demandant l’abrogation de cette exception, la ministre fédérale de la Justice a carrément refusé d’en faire quoique ce soit, allant jusqu’au mensonge en citant une version périmée de cette exception, une version dont la formulation était moins problématique.
De plus, la très inquiétante motion fédérale M-103 condamnant la soi-disant « islamophobie » sent, elle aussi, le délit de blasphème et constitue un écho, pour ainsi dire, d’une motion similaire adoptée par l’Assemblée nationale du Québec un an et demi avant.
La loi 62 n’est pas laïque
Ensuite est venue la loi 62, qui, selon son titre, porte sur la « neutralité religieuse », adoptée à l’Assemblée nationale par le gouvernement du PLQ en octobre 2017. Son titre est à la fois malhonnête et habile, car le gouvernement prétend ainsi régler la question des rapports entre les religions et l’État, répondant ainsi aux forts désirs de la population québécoise pour une solution laïque. Mais cette loi n’est pas une loi sur la laïcité, un terme qu’elle ne mentionne même pas, et, de plus, elle n’est même pas une loi sur la neutralité religieuse, une approche plus faible que la laïcité.
À peu près tout ce que fait la loi 62, c’est d’interdire les couvre-visage, mais en les interdisant très faiblement, permettant des accommodements, c’est-à-dire des exemptions, sur la base de critères assez flous et subjectifs. De plus, en prétendant instaurer la neutralité religieuse sans interdire aucun signe religieux à part les couvre-visage, elle approuve ainsi le port de ses symboles par les fonctionnaires en service.
Si le but du PLQ était de flouer le public, alors il faut se rendre compte que, pour le moment du moins, il a très bien réussi. Déjà le noyau de cette loi, l’article 10 qui interdit les couvre-visage, est suspendu par la Cour supérieure du Québec qui a donné raison aux Conseil national des musulmans canadiens, appuyé par le l’Association canadienne ces libertés civiles, qui l’ont contesté. Le PLQ peut maintenant dire qu’il a essayé de régler la question, mais les tribunaux l’en ont empêché, une façon de s’en laver les mains.
Dans les médias hors-Québec, cette loi, qui en réalité ne fait presque rien, est dénoncée comme une atteinte à la liberté de religion de certaines musulmanes, ou plus précisément une atteinte à la prétendue « liberté d’expression religieuse » (qui me semble un néologisme assez douteux). Les partisans du multiculturalisme et les promoteurs de l’islam politique, qui sont des alliés objectifs, ont gagné cette bataille. J’ai même trouvé dans la revue américaine Free Inquiry, une périodique normalement excellente, un texte qui met la loi québécoise 62 sur un pied d’égalité avec la très louche motion fédérale M-103, les deux étant, selon l’auteure de l’article, des menaces pour les libertés civiles.
Il faudrait donc faire abroger cette loi 62 parce qu’elle ne va pas assez loin, c’est-à-dire qu’elle ne va à peu près nulle part en ce qui concerne la laïcité. Au contraire, le Québec a besoin d’une loi sur la laïcité.
Toutefois, en s’opposant à cette loi 62, il faut éviter le piège de conforter les gens qui s’y opposent pour des raisons diamétralement opposées. Cette loi ne va pas trop loin, comme de nombreux commentateurs mal informés le prétendent, au contraire. Pour que cette loi soit minimalement recevable, il aurait fallu au moins y supprimer les accommodements religieux et y ajouter l’interdiction des signes religieux portés par les fonctionnaires, surtout ceux et celles ayant un pouvoir coercitif comme la police et les juges, ainsi que les enseignantes et les enseignants.
La soi-disant « islamophobie »
À propos de l’« islamophobie », il y a eu au fait trois motions à ce sujet, dont une à l’Assemblée nationale, proposée par Françoise David, adoptée de 1er octobre 2015. Les deux autres ont été adoptées au Parlement fédéral, la première proposée par Thomas Mulcair et adoptée en octobre 2016, et l’autre étant la motion M-103 adoptée en mars 2017. Ces motions défendent des gens sur la base de leur appartenance religieuse, non pas sur la base de droits universels. Elles ne font rien pour faire progresser la laïcité.
L’école publique
Au niveau de l’école publique québécoise, ce système supposément laïque rencontre tout de même assez mal les critères de laïcité. Il y a un besoin criant de retirer le programme Éthique et culture religieuse (ÉCR) imposé à tous les élèves et à tous les niveaux primaires et secondaires depuis 2008, ou au moins de lui retirer complètement le volet « culture religieuse » comme de nombreux militants laïques l’ont déjà recommandé depuis des années. De plus, il faudrait exiger l’abolition du Comité aux affaires religieuses du Ministère de l’Éducation (nom actuel : MEEQ = Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur). Ce comité a travaillé à l’élaboration du programme ÉCR, il est un vestige des anciens comités confessionnels catholique et protestant et il a pris position pour la laïcité dite « ouverte » – ce qui veut dire une pseudo-laïcité à peu près équivalente au multiculturalisme –, rejetant ainsi l’interdiction des signes religieux ostentatoires stipulée dans la Charte de laïcité proposée en 2013-2014 par le gouvernement précédent.
Communications présentées dans le cadre de cet atelier :
- « Le multiculturalisme en question: les universitaires contre la laïcité », Jérôme Blanchet-Gravel
- « Démocratie et laïcité », Simon-Pierre Savard-Tremblay
- « La Loi sur la neutralité religieuse n’est pas la Loi sur la laïcité », Djemila Benhabib
Liens pertinents :
- Simon-Pierre Savard-Tremblay au colloque du Mouvement Laïque Québécois, par Annie-Ève Collin.
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