2025-02-02
2025-02-04, ajout de sommaires et d’exergues
Ce texte paraîtra dans le numéro d’avril 2025 de la revue Le Québec sceptique.
Il y a énormément de confusion dans le débat autour des droits des gais, des lesbiennes et des personnes trans. En particulier, les concepts distincts d’orientation sexuelle et d’identité de genre sont parfois amalgamés. Il est important de définir adéquatement les termes et de bien faire les distinctions qui s’imposent.
Summary in English There is a great deal of confusion in the debate concerning gay, lesbian and trans rights. In particular, the distinct concepts of sexual orientation and gender identity are sometimes conflated. It is important to define our terms properly and make the necessary distinctions.
Il y a beaucoup de confusion dans le débat autour des droits des gais, des lesbiennes et des personnes trans, à tel point que l’on peut soupçonner une volonté de créer et d’attiser cette confusion délibérément. Il y a confusion autour de la définition du sexe biologique. Il y a confusion entre le sexe en tant qu’attribut de l’individu et le sexe en tant qu’acte, c’est-à-dire l’accouplement. Il y a confusion entre droits et privilèges. Il y aurait même une apparente difficulté à définir les termes « femme » et « homme ». On fait aussi souvent l’amalgame entre le sexe (un attribut biologique immuable) et le genre (qui se réfère aux rôles que chaque sexe peut prendre normalement, des rôles qui varient énormément selon l’époque et la culture, donc très variables). Si le genre est une construction sociale, le sexe est une réalité bien ancrée dans la biologie.
Beaucoup de confusion provient aussi de l’amalgame entre orientation sexuelle et identité de genre, une ambiguïté qui se manifeste, par exemple, dans le sigle LGBTQ et ses variantes avec des lettres supplémentaires. Au risque de compliquer les choses encore davantage, remarquons que cette « identité de genre » devrait plutôt s’appeler « identité sexuelle », mais la première appellation s’est imposée en vertu de la confusion entre sexe et genre.
L’orientation sexuelle est tout simplement l’attirance sexuelle vers des personnes du sexe opposé (orientation hétérosexuelle) ou du même sexe (orientation homosexuelle). Dès que cette orientation s’exprime, elle devient objectivement observable par le comportement sexuel de l’individu. Il existe aussi la bisexualité, où la personne est attirée par des gens des deux sexes, ainsi que l’asexualité, où la personne n’éprouve aucune attirance.
L’identité de genre est moins facile à définir car il s’agit d’un ressenti de l’individu, sans expression objective.
L’identité de genre (ou identité sexuelle) est moins facile à définir car il s’agit d’un ressenti de l’individu, sans expression objective. C’est le sentiment de l’individu d’appartenir à l’un ou l’autre des deux sexes (ou à l’un parmi une infinitude de « genres »), indépendamment de son sexe biologique réel. Si l’identité de genre et le sexe biologique diffèrent, si l’individu se sent « dans le mauvais corps », on peut avoir à ce moment-là une dysphorie de genre. Ce phénomène est purement subjectif, un syndrome psychologique. La dysphorie de genre est définie comme « le malaise persistant ressenti par les personnes transgenres vis-à-vis de leurs caractéristiques sexuelles et leur genre assigné alimentant un désir intense et durable de changer ces derniers. » Notons aussi que l’on retrouve parfois l’expression « incongruence de genre » pour décrire un phénomène semblable.
L’orientation sexuelle est donc une affaire de partenaire sexuel (réel ou désiré), où le mot « sexuel » fait référence à l’acte sexuel, tandis que l’identité de genre est le sentiment de l’individu d’appartenir à un genre (ou sexe) particulier, un attribut personnel de l’individu, qui peut correspondre ou nom au sexe biologique.
Le sexe biologique
Pour que les définitions ci-dessus aient du sens, il faut préalablement se doter d’une définition claire du sexe biologique. Si l’on définit le sexe selon le type de gamètes qu’un individu peut (potentiellement) produire, alors il y a deux sexes biologiques : le sexe femelle qui produit de gros gamètes (ovules) et le sexe mâle qui produit de petits gamètes (spermatozoïdes).
Le sexe biologique est strictement binaire. Il n’y a que les deux[…]
Le sexe biologique est strictement binaire. Il n’y a que les deux, et ce, même chez les rares individus — que l’on appelle souvent « intersexes » — qui peuvent présenter des attributs physiques qui ne sont pas typiques des deux sexes. Il ne s’agit pas d’un troisième sexe mais plutôt d’une anomalie du développement d’un individu appartenant à l’un des deux sexes. De toute façon, un individu qui se dit trans, c’est-à-dire qui est atteint de dysphorie de genre et qui exprime ainsi le désir de changer de sexe, reconnaît implicitement appartenir à un sexe et vouloir adopter l’autre. Aussi, alors qu’être intersexe est un état physique qui peut nécessiter une intervention médicale, être trans est un état psychologique qui est lié à un inconfort avec son sexe. Les personnes intersexes ne sont pas trans et doivent être traitées au cas par cas étant donné leur rareté et leurs particularités.
De plus, malgré ce que prétendent certains activistes et certaines philosophes qui choisissent d’ignorer la réalité scientifique, il est impossible pour un être humain de changer de sexe. Le sexe d’un individu est établi dès la conception et est présent dans chaque cellule du corps. Le sexe d’un bébé n’est pas « assigné à la naissance » mais constaté ou observé. Donc, toute « réassignation sexuelle », par le biais de médicaments puissants ou de chirurgies, ne peut être que cosmétique et superficielle.
Lorsque nous parlons des droits des personnes LGBT, la situation est très différente pour le groupe LGB (lesbiennes, gais et bisexuel·les) et le groupe T (trans, c’est-à-dire atteintes de dysphorie de genre). Les deux groupes partagent un souci commun : la protection contre la discrimination en matière d’emploi, de logement, etc. Mais en dehors de cette question, les deux divergent l’un de l’autre énormément. Dans le premier groupe, il s’agit de gens ayant un comportement homosexuel, et il suffit qu’ils aient la liberté de vivre leur vie sans subir une discrimination basée sur des préjugés anti-homosexuels et que le couple de même sexe soit reconnu. Mais dans le deuxième groupe, chez les trans, la situation est complètement différente car il y a la volonté de changer de sexe, ce qui peut impliquer des interventions médicales majeures, envahissantes et radicales.
Diagnostic légitime ou non ?
Je ne nie certainement pas l’existence même de la dysphorie de genre en tant que phénomène réel. Il y a des individus qui se trouvent très mal à l’aise avec leur sexe biologique dès un très jeune âge. Ils éprouvent apparemment un désir profond de changer de sexe, même si une telle modification est en réalité impossible, et ce désir n’a rien de passager. Je ne suis ni médecin, ni psychologue, alors je n’ai évidemment pas la prétention de pouvoir faire des diagnostics, c’est-à-dire identifier les véritables cas de dysphorie de genre. Toutefois, il y a au moins deux situations particulières où la forte possibilité d’un faux diagnostic est évidente et facile à reconnaître.
D’abord il y a la situation où l’individu se déclare du sexe opposé, parfois soudainement, afin de se prévaloir de certains privilèges ou avantages. Des exemples de ce phénomène sont nombreux, et dans la grande majorité des cas, sinon tous, l’individu est un homme qui se prétend femme, c’est-à-dire qu’il est « trans-femme » ou « trans-féminisé ». Il peut s’agir d’hommes voulant avoir accès aux espaces réservés aux femmes pour des raisons de voyeurisme ou pour bénéficier d’un traitement moins rigoureux dans une prison pour femmes. Il peut aussi s’agir d’hommes ayant la volonté de participer à des compétitions sportives féminines où l’individu mâle jouit d’un avantage athlétique inné majeur.
Deuxièmement, il y a la situation où l’individu, souvent un adolescent ou une adolescente qui arrive à l’âge de la puberté, découvre des sentiments homosexuels mais vit dans un milieu plutôt homophobe. Cette situation est probablement plus difficile pour une fille que pour un garçon, car celle-ci se trouve être la cible de l’attention sexuelle insistante et non voulue de la part des garçons de son milieu ; ce malaise s’ajoutant aux malaises dus à la réprobation associée avec l’homosexualité. Il y a enfin des cas de jeunes filles au tout début de leur puberté, qui ne veulent pas avoir de règles, ni de seins. Si cette fille devenait un garçon, ces problèmes disparaîtraient. Elle peut donc voir la réassignation sexuelle comme une solution.
Des études ont dévoilé que, si ces adolescent·es sont suivis jusqu’à l’âge adulte sans entamer de transition, la dysphorie finit souvent par se résoudre et une forte proportion de ces individus deviennent des adultes homosexuels.
Mais cette solution n’en est pas une. Des études ont dévoilé que, si ces adolescent·es sont suivis jusqu’à l’âge adulte sans entamer de transition, la dysphorie finit souvent par se résoudre et une forte proportion de ces individus deviennent des adultes homosexuels. Par exemple, le Dr James M. Cantor, spécialiste des comportements sexuels, a compilé une liste d’études avec un taux de résolution de ces enjeux psychologiques entre 60 % et 90 % sans la nécessité d’une transition.
Chaque cas est unique. Mais dans l’ensemble, la plupart des cas de dysphorie de genre qui s’inscrivent dans l’un ou l’autre de ces scénarios doivent être considérés comme de faux diagnostics. Ces scénarios sont le résultat inévitable de l’idéologie, évidemment erronée, qui affirme que le changement de sexe biologique est possible et peut se faire en réponse à un ressenti sincère et profond. De plus, c’est le patient qui serait le mieux placé pour établir son propre diagnostic de dysphorie. Dans le premier scénario, l’individu profite de façon abusive de cette idéologie. Dans le deuxième scénario, l’individu en est une victime. Pourquoi ces faux diagnostics sont-ils si nombreux ? Parce que les autorités qui sont confrontées à ces situations, qu’elles soient médicales, sportives ou autres, n’ont pas le courage nécessaire pour s’objecter à cette idéologie néfaste (NDR : la situation a récemment changé aux États-Unis). Ce qui nous amène à la question de la censure.
Censure sociale, censure légale
Ce type d’accusation est une forme de censure sociale, c’est-à-dire une censure imposée par les pairs, et non par l’État.
La simple reconnaissance de la réalité biologique que fait le présent texte, c’est-à-dire la binarité sexuelle et l’impossibilité d’une réelle réassignation sexuelle, risque de lui attirer des accusations de « transphobie » de la part des adeptes de la pseudoscience butlérienne, celle qui soutient, comme la philosophe Judith Butler, que le sexe n’est qu’un concept flou, voire une construction sociale. Ce type d’accusation est une forme de censure sociale, c’est-à-dire une censure imposée par les pairs, et non par l’État. Les accusations de « racisme », de « xénophobie » ou d’être de l’« extrême droite » — lancées contre quiconque ose remettre en cause la théorie critique de la race, l’intersectionnalité ou les autres idéologies d’inspiration postmoderne —, sont du même acabit. La répression de la liberté d’expression dans ces domaines, connue sous le nom de « cancel culture », fait partie du même phénomène.
Les adeptes de ces idéologies, pour ratiociner cette culture d’annulation, prétendent que la seule censure existante, la seule qui mérite le nom « censure », est celle imposée par l’État, c’est-à-dire la censure légale. Donc, ils nient l’existence du problème. Pourtant, il est évident que la censure sociale fait des ravages et représente un sérieux problème de société. La seule solution est de défier cette censure en osant débattre ouvertement et publiquement de ces questions sensibles.
Lois interdisant les thérapies de conversion
Cet amalgame entre orientation sexuelle et identité de genre, c’est-à-dire l’erreur de confondre deux phénomènes sexuels dont le premier est objectivement défini tandis que le second relève purement d’un ressenti subjectif, a malheureusement déjà fait du chemin dans la société et ce, même dans la législation. Plusieurs juridictions, y compris au Québec (P-42.2) et au Canada (L.C. 2021), ont adopté des lois interdisant les thérapies de conversion. Ces lois ont le mérite d’interdire les thérapies de conversion d’orientation sexuelle, des thérapies qui prétendent convertir des homosexuels pour en faire des hétérosexuels. Cette interdiction est nécessaire car ces thérapies sont inutiles et nuisibles et, pour la plupart, ne sont que le produit de préjugés homophobes religieux.
Malheureusement, ces lois ne font pas la distinction qui s’impose car elles interdisent aussi les thérapies de conversion d’identité de genre ou d’expression de genre sur le même modèle que l’orientation sexuelle. Mais comment peut-on « convertir » un phénomène qui est purement subjectif ? L’identité de genre est une conception personnelle. L’idée de « convertir » cette identité subjective en une autre ajoute une deuxième couche d’ambiguïté. Ces lois ciblent une thérapie dont les paramètres sont très difficiles, voire impossibles, à définir.
Une loi qui criminalise un acte qui n’a même pas de définition claire est une mauvaise loi.
Une loi qui criminalise un acte qui n’a même pas de définition claire est une mauvaise loi. L’interdiction des thérapies de conversion d’identité de genre est une double menace pour la société.
- Elle nuit aux soins médicaux car elle empêche le personnel médical de prodiguer des conseils appropriés dans certaines situations. Ce personnel est obligé d’accepter l’autodiagnostic du patient et ne peut faire sa propre évaluation professionnelle.
- Elle entraîne des conséquences draconiennes pour la liberté d’expression de tout le monde.
Pour toutes ces raisons, l’interdiction des thérapies de conversion d’identité de genre doit être supprimée de la loi L.C. 2021 fédérale, de la loi P-42.2 québécoise et de toute législation semblable dans d’autres juridictions. (Mais évidemment l’interdiction des thérapies de conversion d’orientation sexuelle doit être maintenue.)
L’homophobie implicite du transactivisme
Si des intégristes religieux, tels les évangélistes chrétiens, s’offusquent du concept même de réassignation sexuelle et de la hausse du taux de diagnostics de dysphorie de genre, ils n’ont qu’à se regarder dans un miroir pour trouver des coupables. En effet, l’homophobie obstinée des intégristes des religions abrahamiques (judaïsme, christianisme et islam) est une cause importante des diagnostics erronés de dysphorie de genre. Il faut commencer par accepter l’homosexualité de sa fille lesbienne et de son fils gai avant de lancer des accusations contre autrui.
Mais les religieux ne sont pas les seuls coupables. Les transactivistes eux-mêmes, qu’ils en soient conscients ou non, facilitent des pratiques qui sont objectivement homophobes lorsqu’ils prônent l’utilisation de médicaments ou de chirurgies pour amorcer des réassignations sexuelles à l’adolescence. Si une personne mineure est apparemment atteinte de dysphorie de genre, la prudence est de mise. Un suivi à long terme, sans traitements de type « affirmation de genre », permettrait de s’assurer du diagnostic et d’écarter les cas où il s’agit d’une jeune personne homosexuelle.
Si on prodigue hâtivement les soins d’affirmation de genre à des personnes mineures, alors la soi-disant « réassignation sexuelle » devient elle-même, dans beaucoup de cas, une thérapie de conversion d’orientation sexuelle.
Si on prodigue hâtivement les soins d’affirmation de genre à des personnes mineures, alors la soi-disant « réassignation sexuelle » devient elle-même, dans beaucoup de cas, une thérapie de conversion d’orientation sexuelle.
Ainsi, en Iran, une théocratie islamique, l’homosexualité est strictement illégale et punie par la peine de mort. Les chirurgies de réassignation sexuelle (CRS) sont non seulement approuvées par les autorités religieuses, mais apparemment encouragées, justement dans le but de « guérir » l’homosexualité. Selon une lettre parue dans l’Iranian Journal of Public Health en 2022, ce pays est un chef de file mondial pour ce genre de chirurgie. L’Iran constitue donc « l’enfer des homosexuels et le paradis des trans en quête de CRS. »
Bilan
À mon avis, faire croire à une personne atteinte de dysphorie de genre qu’il est possible de changer littéralement de sexe biologique est malhonnête, irresponsable et n’apporte aucun bénéfice au patient. Ce dernier mérite mieux.
Note
Le 21 mai 2024, l’association Libres penseurs athées a fait une présentation devant le Comité des sages qui a le mandat de conseiller le gouvernement du Québec sur la question de l’identité de genre. Vous pouvez consulter son mémoire et un résumé des points saillants de sa présentation sur le site web LPA.
David Rand est auteur du livre Un Simulacre de laïcité, L’échec du sécularisme dans le monde anglophone paru chez L’Harmattan et président de l’association Libres penseurs athées.
Il remercie François Chapleau pour ses précieux conseils lors de la révision de ce texte.
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